Blog Fragments d'un voyage au Québec

6/26 – Thérèse éveille nos consciences

Et puis tard dans la soirée, j’ai oublié comment c’est venu. Une question ? L’évocation de notre engagement dans une ONG relayant les luttes des paysans Indiens pour défendre leurs Droits à l’accès à la Terre ? Peut-être. Alors Thérèse a parlé d’une voix profonde, qui vient de loin, des enfants amérindiens. Celles et ceux qu’elle apercevait enfant à travers les hautes grilles de l’école où ils étaient scolarisés. Une école tellement différente de la sienne où tout était ouvert. Elle était mal à l’aise en passant devant cette école sans comprendre pourquoi. Certes les enfants étaient différents d’elle, ils avaient de beaux cheveux noirs et brillants, une peau dorée plus foncée que la sienne et un accent bizarre, mais elle sentait qu’il y avait autre chose.

Thérèse est née dans la Baie Saint-James à Amos en Abitibi. On sort notre carte du Québec jamais bien loin. Thérèse pointe Amos à 500 kilomètres au nord de Montréal. Une ville entourée de lacs et de cours d’eau dans une région peu urbanisée. C’est la seule ville importante au bord de la rivière Harricana, commente Thérèse. Importante, tout est relatif ajoute-t-elle, elle compte aujourd’hui environ 12 700 habitants. Cette localisation nous fait rêver, Thérèse poursuit l’histoire qui nous propulse, à partir de l’histoire de ses parents, dans la grande histoire du Québec. Celle racontée depuis le XIXe siècle par des historiens blancs, celle qui gomme la présence des Amérindiens et des Inuits.

Ses parents viennent d’une famille pauvre de Montréal, ils sont partis dans les années quarante en Abitibi comme des milliers de familles pauvres fuyant les villes pour la promesse de l’Eldorado. On leur a dit que les conditions de vie étaient rudimentaires, mais que grâce aux plans fédéraux, ils deviendraient propriétaires d’un lopin de terre sous conditions de le défricher et de le cultiver. Ils rêvent de cette ville nouvelle fondée en 1914, Amos du nom de la femme du premier ministre de l’époque. Ils passent des heures à contempler les cartes postales qui circulent dans les grandes villes pour inciter les chômeurs victimes du krach de 1929 à partir vers ce vaste territoire à coloniser. Ils rêvent d’être, comme sur les cartes postales, ces colons dans de beaux vêtements installés le long de la ligne du nouveau chemin de fer le National Transcontinental Railway. Ce nom les fait rêver !

Le père de Thérèse arrivera-t-il à Amos avec un contrat de travail d’une des compagnies minières qui exploitent les nombreux gisements d’or et de cuivre ? Travaillera-t-il dans une compagnie forestière pour défricher les forêts et exploiter le bois pour la construction des maisons et le chauffage ? Qu’a-t-on raconté à ces femmes et ces hommes aux visages pâles de l’histoire des femmes et des hommes qui vivent sur ces terres depuis 12 000 ans ? Et les peuples autochtones, comment voient-ils l’arrivée de ces populations sur leurs Terres ancestrales ? Celles sur lesquelles, ils pratiquent la chasse, la pêche et la cueillette. Que ressentaient-ils face à ces grands travaux destructeurs d’exploitation des ressources forestières, minières et hydrologiques ?

Tard dans la nuit, la voix de Thérèse change. Plus sourde. Elle parle à nouveau des enfants qui étaient derrière les hautes grilles. Elle en explique la raison. Dès la fin du dix-neuvième siècle les enfants Amérindiens étaient arrachés à leur famille et placés dans les pensionnats de communautés religieuses catholiques. Avec l’objectif de les civiliser, gommer leur identité et les évangéliser. Parler leurs langues était interdit, pratiquer leur religion aussi. Certain.ne.s subissaient des violences physiques, des abus sexuels et étaient soumis à des travaux forcés. Quand ils rentraient dans leurs familles une fois par an, les enfants n’osaient pas parler de toutes ces violences. Ils se sont tus pendant des années. Les enfants voulaient protéger leurs parents, certains ont reproduit cette violence. Cette situation n’est parlée que depuis quelques années au Québec. En 2008, le premier ministre Stephen Harper présente les excuses publiques du gouvernement. Une première étape dans le long processus nécessaire de réconciliation et de pardon.

Thérèse se souvient avoir entendu le témoignage d’un rescapé des pensionnats. Il disait : les agents du gouvernement et les prêtres, disaient qu’il faut déconnecter l’enfant de ses ancêtres, de sa langue, de sa culture et de sa spiritualité. Ainsi tuer l’Indien dans l’enfant. Le dernier pensionnat a fermé ses portes en 1996, 150 000 enfants y ont été internés.

Thérèse parle aussi de la rafle des années soixante de milliers d’enfants autochtones arrachés à leurs familles. De leur placement dans des foyers d’accueil avant leur adoption par des familles non-autochtones. A ce moment de la soirée seule Thérèse parle. Nous ne posons pas de questions abasourdies par ce que nous entendons. En 2014, ce sujet était peu présent dans les médias.

Elle poursuit, aujourd’hui les Autochtones perçoivent des allocations du gouvernement, une situation réprouvée par de nombreux québécois. Pourtant leur situation actuelle reste souvent difficile et précaire. Alcoolisme, violence, pauvreté, chômage, mauvaises conditions sanitaires, manque de logements décents.

Si on voyageait pour se sentir plus connectées au monde, ce soir-là on aurait pu dire que l’on avait franchi des pas de géantes !

En rentrant de ce voyage après quelques recherches sur le net, je découvre l’existence du pensionnat autochtone d’Amos. Assurément celui dont a parlé Thérèse. Il ouvre ses portes en 1955 sous administration catholique. Il accueille jusqu’à 200 enfants principalement des Algonquins de l’Abitibi. Il ferme en 1973.

Souvent pendant le voyage on a évoqué cette soirée. Ce fût un tel choc ! En visitant un musée en échangeant avec des personnes rencontrées sur la route, on se disait : regarde, écoute, ils parlent des pensionnats autochtones, tu te souviens des paroles de Thérèse… En écrivant ce récit je m’interroge, pourquoi a-t-elle abordé ce sujet ce soir-là ? On lui avait parlé de notre engagement dans une ONG de solidarité internationale. A-t-elle pensé que l’on porterait sa parole à notre retour en France ? Dire pour ne pas oublier. Dire parce que personne n’avaient expliqué à l’enfant qu’elle était que ces enfants parqués derrière des hautes grilles étaient Amérindiens. Qu’ils ne venaient pas du même endroit qu’elle. Ou plutôt qu’ils étaient d’ici. Et ses ancêtres, d’Europe.

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