Blog Nuage

Carnet nuages – mai 2024 – 31 jours la tête dans les nuages

Affûteurs de regard et d’écriture
pour accompagner la création de ce carnet
tentative d’épuisement d’un nuage

Parce que ce carnet de nuages, c’est aussi une des milles façons de progresser sur mon chemin de lecture, je partage aujourd’hui cet extrait du “ Livre des visages” de Sylvie Gracia. Un passionnant journal d’écrivaine.

Initialement posté sur Facebook en 2012 presque quotidiennement. Elle y parle écriture, petits évènements du quotidien, mémoire, corps, ville, politique. Tous ces événements de la vie d’une femme ancrée dans son époque. Toujours une photo accompagnée d’un texte, le 31 octobre elle poste une photo de nuages !

De retour à Bordeaux, par la pensée toujours à Anglet sur la plage. Sous un ciel grandiose quelques heures avant l’orage. Relire “Respire” de Marielle MACÉ et essayer de capter la respiration des nuages. Recopier un extrait du texte pour mieux le ressentir :
Les cultures asiatiques, la japonaise en particulier, conçoivent les nuages, les nuées, la rosée, les brumes et les brouillards comme “ la respiration de la nature “ ; sa respiration et sa transpiration, étirée en vapeur de milliards de gouttelettes (elles ne regardent donc pas la brume enveloppant le paysage comme un obstacle, un piège ou un voile par où la nature se déroberait et se rendrait essentiellement opaque ou inatteignable, comme nous avons tendance à nous la figurer)”.

Te laisser imprégner de ces paroles, de ces nuages. Des odeurs océaniques et iodées des embruns. Et être sûre que de cette atmosphère bien particulière, tu en resteras habitée chacun des jours de la semaine à venir.

Nuage chamalow ou nuage à la tête de chou ? Revoir cette photo prise hier, me donne des envies de cuisiner. Alors attraper le livre de Ryoko Sekiguchi, Sugio Yamaguchi et Valentin Devos. Le nuage : dix façon de le préparer.

Laquelle choisir parmi ces dix recettes ?
– Soufflé par vents et par riz pour commencer
– Si nuages m’étaient comté…
– Attraper les nuages
– Nuages d’automne, nuages d’hiver
– Nuages de printemps, nuages d’été
– Mues orographiques
– Ciel « griz »
– Friandises de paysages
– Jus de coco-nimbus
– De quoi se nourrissent les nuages ?

Grosse difficulté pour réaliser ces recettes, puisque la première étape consiste à aller cueillir un nuage. Le plus proche est à deux kilomètres, je n’ai pas d’échelle assez grande… Je crois que je vais me rabattre sur les œufs à la neige !

Souvent je feuillette le Guide du chasseur de nuages de Gavin Pretor-Pinney. Même si je changerais bien son nom : Guide de la glaneuse de nuages ? De la cueilleuse ? De l’observatrice ? spectatrice ? collectionneureuse ? On y parle cumulus, stratus, cumulonimbus, stratocumulus, cirrus et de tant d’autres. Un livre fascinant, abondamment illustré de photos et de schémas.

Le clou du livre : le Manifeste du chasseur de nuages de la Cloud Appreciation Society, une association mondiale d’observateurs de nuage créée par l’auteur, Gavin Pretor-Pinney :
– Nous pensons que les nuages sont injustement dénigrés et que la vie serait incomparablement plus pauvre s’ils n’existaient pas.
– Nous croyons que les nuages sont des poèmes de la Nature, les plus équitables parmi ses bienfaits car chacun peut les observer à loisir.
– Nous nous engageons à combattre sans relâche le diktat du  » ciel bleu  » chaque fois que nous les rencontrerons, car la vie serait d’un ennui sans nom si nous étions condamnés à la monotonie d’un éternel ciel sans nuage.
– Nous nous efforcerons de rappeler aux gens que les nuages expriment les humeurs de l’atmosphère et qu’à ce titre, comme les expressions humaines, ils sont sujets à interprétations.
– Nous pensons que les nuages parlent aux rêveurs et que l’âme s’enrichit à les contempler.
– Et nous déclarons donc à qui veut l’entendre : Lève les yeux, émerveille-toi de l’éphémère beauté, et vis ta vie la tête dans les nuages.

Aujourd’hui c’est Festival de nuages au-dessus de la Corniche Basque. Chacun déploie beaucoup d’énergie pour tenter de se faire remarquer.

Pendant l’observation de ce ciel, j’ai vu :
– le nuage qui se place juste au-dessus de la ligne d’horizon ! Celui-là sûr on le verra des kilomètres à la ronde.

– Celui qui a une tête de lion et un corps de dragon.

– Celui qui s’abaisse jusqu’à être presque sous l’objectif. Pas sûre qu’il ait bien compris le sens de l’exercice.
– Celui qui tente de coiffer la Rhune, pas bête, la Rhune on la voit de partout.
– Celui qui se donne des airs d’Amérique Centrale.
– Ceux qui se sauvent loin pour ne pas tomber dans les griffes du ball-trap.
– Celui qui a une trompe d’éléphant mais qui ne ressemble pas vraiment à un éléphant.
– Celui qui joue au matelas moelleux.

– Celui qui s’effiloche, se reproduit, grandit à vue d’œil, grossit, grisaille, blanchit pour occuper tout l’espace.

Caspar David Friedrich – Le voyageur contemplant une mer de nuages (image libre de droit)

Dans la salle dédiée au peintre romantique allemand Caspar David Friedrich du Kunsthalle de Hambourg, Le voyageur contemplant une mer de nuages est subtilement mis en valeur sur une cimaise gris mauve. Il renfore ainsi le camaïeu de gris de la masse de nuages, légèrement rosé à l’horizon. Au premier plan de dos le personnage principal perché sur un rocher admire la mer de nuages. Les visiteurs s’agglutinent autour du tableau.

Deux jeunes hommes, sans doute des étudiants en Histoire de l’Art : – Regarde, il est là ! Quelle émotion de découvrir ce chef d’œuvre. Je me souviens des longues heures passées à l’étudier. – Je ne l’avais vu que dans des livres et sur internet. En vrai, il est magnifique, on sent la matière, le geste du peintre. Quel bonheur de découvrir les vraies couleurs ! Les reproductions sont tellement peu fidèles…

Mais lui, le voyageur immobile dans son cadre en bois depuis 1817, il en a marre. Trop à l’étroit, il en a ras le bol de les entendre, à longueur de journées égrainer les mêmes remarques, les mêmes absurdités :

– Tu as vu comment il est habillé ! Une redingote vert sombre, des chaussures de ville. Comment a-t-il pu escalader la montagne dans un tel accoutrement ? Pas sûr que son bâton de marche ait été d’un quelconque secours !

Le voyageur immobile poursuit ses ruminements :

– Quel manque de culture, cette incapacité à se replacer au début du 19! A cette époque les pyrénéistes aussi allaient ainsi habillés à la conquête des sommets.

Il souffre en entendant les autres spectateurs qui, se pensant plus malins, intellectualisent :

– Un thème tellement contemporain, la communion de l’homme avec la nature. Un acte total de contemplation. Quelle conscience écologique, un véritable visionnaire ce Friedrich !

– Blablabla, je n’en peux plus, et dire que je suis figé pour l’éternité, sans moyen de répliquer.

Et si tu savais ! En 2024, pendant plus de trois mois, une rétrospective des œuvres de Caspar David Friedrich est organisée pour célébrer les 250 ans de sa naissance. Et très certainement,

Aujourd’hui les nuages se la jouent pop, un chouïa psychédélique !

Décider en ce vingt-septième jour de faire foisonner les nuages dans des carnets et ce n’est qu’un début !

Rouler sur l’autoroute entre Bordeaux et Périgueux. Écouter Cultures-Monde sur France Culture : les outils et la connectivité croissante des populations semblent faire du “récit de guerre en temps réel » un enjeu majeur des conflits à l’heure où chacun dispose de quoi le suivre en direct. Tous les coups semblent permis : fausses informations, détournement d’images ou meurtres de journalistes.

Mon esprit vagabonde, s’échappe de cette actualité plombante. Moment furtif, que je garderai en mémoire, longtemps. Un ciel jamais vu nulle part ailleurs. En quelques secondes, il prend une couleur gris métallique et électrique. Soudain un rayon de soleil se faufile à travers les nuages. Éclairage magique qui donne une brillance au gris triste des nuages et provoque une surdensité du gris olive des feuilles de peupliers. Souvenir de couleurs qui se fondent les unes dans les autres, celles du ciel, des feuillages des arbres et arbustes, de l’herbe des prairies longeant l’autoroute. Une atmosphère gris-vert illuminée du rayon jaune du soleil. Impression de pénétrer dans un paysage imaginaire et de rouler non pas vers la Préfecture de la Dordogne mais vers le monde merveilleux d’un film d’animation.

J’ai toujours aimé voir des animaux dans les nuages. Comme aujourd’hui depuis ma voiture sur l’autoroute qui me conduit aux Eyzies, la capitale mondiale de la Préhistoire. Impossible de photographier. Alors les garder en mémoire pour plus tard, écrire. Météo changeante en ce mois de mai bizarre. Pluie, soleil pointant entre les nuages. Nuages chassés par le vent. Certains disparaissent, d’autres se forment. J’ai lu que la durée de vie d’un cumulus est de cinq à quarante minutes. Feu d’artifice de formes et de couleurs. Des camaïeux de gris et de blancs, si on regarde vite. Des gris colorés de subtils tons roses et orangés, légèrement bleutés, si on prend le temps de l’observation.

Soudain apparaît un éléphant. Avec sa trompe, il avale un petit cumulus. Deux caniches vus de dos observent la bande de ciel bleu qui se faufile au-dessus de la masse de nuages blancs et gris. Plus on se rapproche de la Vallée de la Vézère, plus les animaux prennent des formes étranges. Les corps s’allongent, se déforment, les pattes s’effilent. Je n’en crois pas mes yeux. Le grand cheval, chef d’œuvre de la grotte de Lascaux apparaît face à moi. Est-ce qu’il m’interpelle, veut me transmettre un message ? Un peu plus loin le taureau de Lascaux et de plus petits animaux, tous présents dans la grotte. Ils s’enchevêtrent, se chevauchent, vont vers la droite, la gauche, dansent, volent, nagent, courent, s’allongent, une vraie valse. Un spectacle digne des tableaux de l’art pariétal du paléolithique. Quel spectacle ! Quelle émotion ! Je les reçois comme un signe de salutation envoyé par les hommes et femmes de Cro-Magnon alors que je ne suis plus qu’à quelques kilomètres des Eyzies !

Ce matin en arrivant en Lot-et-Garonne, je lis dans le paysage le bénéfice des ciels chagrins de ces dernières semaines : infinitude de camaïeux de verts, du plus clair au plus foncé, sur les paysages vallonnés des coteaux de Garonne. A l’horizon, des collines noyées dans la brume se colorent d’un dégradé de gris. Paysage fantomatique.

En fin de matinée, les nuages s’affirment et passent du gris terne au blanc cotonneux jonglant avec des coins de ciel bleu et gris. Et là je peux m’adonner à mon activité favorite : la paréidolie. Bien-sûr je pourrai dire, je m’amuse à reconnaître une forme familière dans les nuages, mais ça ferait moins savante, et paréidolie est bien plus poétique !

Aujourd’hui j’ai vu une souris, des écureuils, une femme allongée sur le dos et pleins d’autres figures. Un petit chien poursuivi par un serpent. Ces deux-là étaient dans le bleu du ciel délimité par les nuages. Lire les pleins, lire les vides. Mais surtout j’ai compris que la paréidolie, c’était aussi le mouvement. Quel amusement de voir un gros éléphant figé la gueule ouverte pour avaler un petit cumulus, stupéfait quand il s’aperçoit que le petit cumulus, malin, poussé par le vent le contourne et poursuit son chemin serein et fier de lui.

Alors toutes, tous paréidolions – pas sûre que le verbe existe -, apprenons à lire dans les nuages, retrouvons notre âme d’enfant et inventons des histoires qui jamais n’existeraient sur terre !

CARNET DE NUAGE – MAI 2024 – JOUR 31/31

Dernier jour de ce carnet, alors Imaginer son avenir.

En triant mes notes stockées sur mon téléphone, je tombe sur ce petit texte :

  • Note des paroles chopées au vol
  • Lis pour écrire, écris pour lire
  • Marche, perds-toi dans la ville et observe le ciel
  • Écris ce dont tu ne te sais pas dépositaire comme le dit François Bon
  • Recopie des extraits de textes aimés
  • Reprends tes notes, donne leur de l’épaisseur, de la hauteur, de la couleur et publies-les sur ton blog sans te soucier de tes lecteurices. Ajoute des photos, des dessins et trouve ta singularité
  • Dessine, colle, déchire et froisse des papiers, peins avec les doigts….

Alors, le idées fusent ! Il y aura des minis carnets fait maison, aussi un carnet en accordéon. Une boîte à images, une à paréidolie. Et une autre pour ranger les nuages, poèmes, messages reçus. Peut-être des carnets en forme de rouleaux. Des dessins, des collages, des livres et des textes. Pleins d’autres choses à compléter, imaginer, créer au gré de mes pérégrinations…
Et ainsi se construira un cabinet de curiosités à nuages, un cabinet en mouvement perpétuel qui s’étoffera au fil des jours !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *