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Faire surgir un personnage

La première fois que le photographe Bruno Serralongue voit l’activiste écologiste Casey Camp-Horinek, c’est le 9 mars 2017 à Washington le jour de la Native March vers la Maison Blanche. Une marche organisée par des amérindien.ne.s déterminé.e.s pour protester contre la construction, dans le Dakota du Nord aux États-Unis, d’un oléoduc transportant des hydrocarbures. Un oléoduc qui doit passer sur les Terres de la Réserve de Standing Rock et sous les rivières Missouri et Mississippi avec le risque de polluer les eaux des lacs et des rivières environnants. Parmi la foule de nombreux.ses amérindien.ne.s des nations Ponca et Sioux du Dakota du Nord.

Lors de la présidence de Barack Obama, en 2015, les amérindien.ne.s avaient pourtant beaucoup espéré. Le Président avait fait stopper les travaux et demandé aux entreprises d’étudier un autre tracé. Espoir vite perdu. Peu de temps après son élection, Donald Trump ordonne à l’armée de reprendre les travaux.

Le sujet est grave, mais la manifestation joyeuse. Au son des tam-tams, des danseurs habillés de vêtements traditionnels aux couleurs vives scandent l’eau est la vie, paroles entrecoupées de chants traditionnels sioux. Certain.e.s sont enveloppé.e.s dans des couvertures très colorées en cette froide matinée.

Devant la Maison Blanche en tant que représentante élue de la Nation Ponca, Casey Camp-Horinek prend le micro. De nombreux et nombreuses journalistes sont présents. En commençant son discours Casey Camp sourit en voyant un jeune amérindien arborer une casquette surmontée des lettres NYC, New York City. Sans doute un jeune qui a quitté la réserve pour aller étudier à New York.

Bruno Serralongue est au premier rang, il n’a pas son appareil photo.

Casey Camp poursuit son discours. Elle est entourée de militant.e.s agitant des drapeaux jaunes et rouges. Des drapeaux des Nations Sioux et Ponca. Des Drapeaux aux slogans évocateurs. We exist – We resist – We rise. Native nations rise.

Mekasi, le fils de Casey Camp ne la quitte pas des yeux. Il connaît les risques pris par sa mère à chacune de ses prises de parole. Il se souvient de ce jour du 27 octobre 2016. Lui, sa mère et 240 autres protecteurs de l’eau sont arrêtés en pleine prière. Il se souvient comme si c’était hier des numéros écrits par les policiers sur leur bras. Il se souvient qu’ils ont ensuite été enfermés dans des cages.

Quand Casey prend la parole, le silence règne dans la foule :

Le gouvernement ne respecte pas notre droit public d’accès à l’eau potable. Nous savons que nous devons protéger l’eau pour les générations futures. Les gens en ont marre d’avoir un gouvernement censé les représenter eux, et pas les grandes entreprises. Nous, communautés amérindiennes avons obtenu par traité avec l’État fédéral des Terres pour établir nos habitations. Aujourd’hui l’État fédéral ne respecte pas ses engagements en faisant construire des oléoducs sur ou à proximité immédiate de nos terres. Je ressens de la colère en pensant au monde que nous laissons à nos enfants, à nos petits-enfants, à nos arrière-petits-enfants… Je ressens de la colère quand les raffineries souillent l’air. Et après ces moments de colère vient la tristesse. C’est comme si ceux qui perpétuent ces crimes n’étaient pas préoccupés par leur propre descendance. Comme si ce n’était pas grave de tuer l’air, la terre, et l’eau, puisqu’ils auront quelques dollars en plus sur leur compte bancaire.

Le lendemain quand Bruno Serralongue rencontre Casey Camp-Horinek, elle va droit au but. On m’a parlé de votre travail avec les zapatistes au Chiapas. Je sais comment vous travaillez. Nous avons besoin de gens comme vous qui parlez de notre lutte à des personnes qui vivent à des milliers de kilomètres. Le gouvernement va continuer à faire ce que le gouvernement fait toujours, mais nous devons continuer à mobiliser des millions de personnes à travers le monde. Nous menons le combat à la fois sur le terrain avec des manifestations et des occupations de chantiers mais aussi sur le plan législatif. Relayer nos luttes au niveau international est pour nous primordial.

Entre Bruno Serralongue et Casey Camp-Horinek le courant passe immédiatement :

Comme vous le disiez ce qui m’intéresse, c’est le temps long. C’est apporter une autre information que celle des médias traditionnels. Non pas que je dénigre leur travail. Chacun à sa place. Les journaux quotidiens ou hebdomadaires doivent produire très vite de l’image et du texte. En tant que photographe indépendant j’ai le temps d’approfondir un sujet. L’image photographique a un pouvoir informatif immense. Je photographie pour proposer une contre-information et pour exprimer une résistance.

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De nombreuses femmes sont engagées dans les luttes contre les pipelines. Quand il rencontre Cherri Foytlin de la nation Navajo Diné, Bruno Serralongue est impressionné par son charisme et intimidé par son regard. Un regard bleu intense rehaussé par la couleur de son sweat-shirt du même bleu que ses yeux. Sur sa chemise un écusson de la nation Navajo. Le photographe reconnaît l’art des artistes navajos sur le bracelet et les boucles d’oreille de Cherry. Derrière elle, sur une affiche, le dessin d’une femme arborant un tee shirt portant le sigle NODAPL – No Dakota Access Pipeline – et à droite de cette femme, sur un mur de couleur beige rosé, le slogan écrit en lettres majuscules noires : They’ve been trying to get rid of us since 1492 !

Un regard bleu intense signifiant : Tu nous veux quoi ? Encore un Blanc qui va faire quelques photos, les vendre et puis repartir sans avoir compris grand chose à nos luttes.

Elle est fatiguée de ces militants de pacotilles. Cherri Foytlin n’a pas de temps à perdre. Leader du mouvement d’opposition au Pipeline Bayou Bridge en Louisiane, elle a fondé le Camp l’Eau est la Vie et organise des marches de protestation à travers le pays.

Bruno Serralongue devra passer beaucoup de temps dans la réserve, participer à quelques étapes de la marche entre la Louisiane et Washington pour réussir à établir un contact constructif avec Cherri Foylin. Pour faire ses preuves. Ce n’est que plus tard, beaucoup plus tard qu’il installera face à Cherri Foytlin le lourd dispositif de la chambre noire grand format. Et que le portait de Cherri intégrera son projet les Gardiens de l’Eau une série débutée en 2017 aux Etats-Unis et au Canada. Une série toujours en cours qui documente le combat d’activistes contre la construction d’oléoducs à travers les États-Unis. Pour cette série la démarche du photographe ne diffère pas de celle de ses autres séries. Prendre son temps pour dire un moment politique.

Isabelle VAUQUOIS

Sur une proposition de Claire Lecoeur lors d’un atelier d’écriture – Arles juillet 2022

Sources

https://www.rencontres-arles.com/fr/expositions/view/1071/bruno-serralongue

https://ateliers-clairelecoeur.com/2022/05/15/ecrire-a-arles-en-juillet/

2 thoughts on “Faire surgir un personnage”

    1. Tellement merci Claire Lecoeur pour tout ce qui se trafique dans tes ateliers ! Tous ces liens… L’écriture et tous.tes ces écrivain.es découvert.es, lu.es.

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