Blog Fragments d'un voyage au Québec

8/26 – Attrape-rêve

A la Bonne Etoile le gîte, tout en bois blanc de Soleria à Bonaventure, une petite bourgade du Bas-Saint-Laurent dans la Baie des Chaleurs. A la table du petit déjeuner autour d’un thé et de banniques, une sorte de pain plat à la farine d’orge sans levain, Soleria explique : la bannique, c’était la base de l’alimentation des premiers colons européens de l’Amérique du Nord. Ils tenaient la recette des amérindiens. Et ainsi s’engage une longue discussion pour un autre moment privilégié dans notre quête de la question amérindienne.

Ce matin là, je me souviens clairement avoir parlé de nos engagements militants. Plus particulièrement du soutien de notre ONG aux grandes marches organisées par les paysans indiens à travers l’Inde pour revendiquer leurs droits à l’accès à la Terre. De l’importance des Forums sociaux mondiaux qui réunissent des organisations du monde entier, des paysans, des syndicats, des peuples autochtones qui pensent que, oui, un autre monde est possible. Et qu’ils ont le pouvoir de le construire !

Alors Soleria évoque sa grand-mère originaire du peuple des Abénaquis, tiré d’un mot signifiant peuple du soleil levant :

Dès le XVIIe siècle, le peuple de ma grand-mère a été chassé par les colonisateurs anglais de sa terre natale, le Massachusetts, où ils vivaient paisiblement. Ils sont arrivés dans la Baie des Chaleurs au Québec. C’est depuis cette époque que ma famille vit ici, à Bonnaventure. C’est là que je suis née, il y a maintenant six décenies.

Le Saint-Laurent à Bonaventure

Elle dit l’importance de la Terre Mère pour les cultures amérindiennes :

– Les luttes des paysans indiens ce sont les mêmes que celles des amérindiens. C’est un combat important. Comme disent les abenakis : La terre c’tà toé c’tà à moé. Y faut en prendre soin. Portez ce message dans vos associations à votre retour en France. Abénaquis vient de waban la lumière et a’Ki la terre. Nos peuples sont ancrés à la Terre. Cinquante millions d’autochtones vivaient en Amérique du Nord avant l’arrivée des européens, ils sont cent mille au Québec aujourd’hui.

Les amérindiens n’auraient jamais pu faire un seul peuple avec les conquérants, la façon de concevoir la vie, la propriété, le rapport à la terre nourricière ne sont pas les mêmes. Soleria dit, le lien biologique à la terre reçu en héritage de leurs ancêtres est essentiel pour les Amérindiens. Ils se sentent connectés à la Terre-Mère dans une relation constitutive de leur identité. Pour les Européens, leur lien à la Terre est utilitariste, pour eux la terre est un bien à posséder et à exploiter.

Soleria parle aussi du côté féminin des villes françaises avec leur formes rondes, et du côté masculin des villes canadiennes avec leurs rues rectilignes et leurs angles droits. Les amérindiens, pense-t-elle, se seraient sentis plus proches des français. Ecrivant ce texte, je relis On nous appelait les sauvages – souvenirs et espoirs d’un chef héréditaire algonquin de Dominique Rankin et Marie José Tardif. Iels évoquent l’importance des formes rondes pour les amérindiens, et les propos de Soleria s’éclairent  :

Quand les amérindiens ont été poussé, dans les réserves, à habiter les maisons carrées des Blancs, c’était difficile pour eux. Ils privilégiaient la force du cercle et tout devenait difficile. On leur avait toujours enseigné que dans le tipi, l’énergie circulait parfaitement sans obstacles. Certains se demandaient d’ailleurs comment ces maisons aux murs droits tenaient sans s’effondrer. Ils s’imaginaient l’esprit se heurter contre les murs.

Dominique Rankin est un des derniers chefs héréditaires algonquins, à la tête d’une Fondation dont le but est de préserver et de transmettre la richesse des cultures autochtones.

Soleria poursuit, peu de temps après leur arrivée les colonisateurs brusquement posent des barrières sur le territoire ouvert des peuples natifs. Les Blancs deviennent propriétaires de lopins de terre sur lesquels ils construisent leurs maisons. Niant la culture de nos ancêtres et les lieux où ils reposent. Dans ces conditions, difficile pour les Amérindiens de cohabiter avec les Blancs.

Les colons voyaient d’un mauvais oeil les Amérindiens vivre une relation libre et harmonieuse avec leur environnement. Ils ne toléraient ni leur nomadisme, ni leur présence dans la société qu’ils avaient créée. Seule solution : les cloîtrer. Ainsi naissent au 17e siècle les premières réserves, concédées par les Français à des ordres religieux associés à l’Église catholique. L’objectif est clair : civiliser les Premières Nations et les convertir au catholicisme. Plus tard, l’Acte des Sauvages de 1876 édicte une série de mesures de plus en plus contraignantes pour sédentariser et civiliser les Amérindiens et les Inuits. Douze ans plus tard, il est renforcé. Les grands festins cérémoniels qui permettaient de maintenir les traditions et la cohésion des peuples natifs sont interdits.

Soleria a installé un solarium dans un coin de la maison. Je viens du peuple du soleil levant, en l’absence de lumière l’hiver je déprime. C’est une période très rude pour moi. Il y a de la neige partout qui reste des mois. Un froid glacial te transperce dès que tu quittes la maison. Je sors le moins possible. Sûre que quand viendra l’âge de la retraite je me retirerai au Costa Rica. D’ailleurs, j’y passe tous les ans le mois de janvier.

En témoignent, punaisées sur les murs du solarium, des photos d’oiseaux multicolores des forêts tropicales, d’autres de la mer des Caraïbes et de l’océan Pacifique. Elle dit qu’elle rapporte des plumes pour épingler sur les capteurs de rêves qu’elle fabrique pour vendre aux touristes. Sur la plume, tout glisse et retourne vers la Terre.

Dans un carnet je retrouve quelques mots notés à la hâte après le petit déjeuner, pour garder traces de ces échanges. Vérifier et approfondir certaines infos. Celle par exemple des couvertures contaminées avec le virus de la variole, envoyées aux amérindiens alliés des Français par les armées britanniques au XVIIIe. Ils savaient que les Autochtones n’étaient pas immunisés contre cette maladie et qu’elle ferait des ravages considérables. Les épidémies amenées par les colons décimaient les populations locales qui ne pouvaient puiser les remèdes dans leur médecine traditionnelle.

2 thoughts on “8/26 – Attrape-rêve”

  1. Ce texte m’a particulièrement touché parce qu’il parle du rapport libre à la terre et à l’espace, des formes rondes et féminines, de la puissance du cercle, des habitations en tipi où les âmes et les esprits peuvent circuler librement et des attrapes rêves sur les plumes desquelles les esprits glissebt
    Voilà, pourquoi j’ai nomé mon association les ateliers du cercle ai-je pensé. Tout est dit si simplement dans ce texte. Merci.

  2. Oh merci pour ton commentaire Valérie ! Moi qui adore faire des liens, qui lis et écris pour tisser des liens, celui-là je ne l’avais pas vu venir… Il aura fallu ton regard complice de lectrice pour justement le faire ce lien !

Répondre à calepinotes Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *