Blog Fragments d'un voyage au Québec

17/26 – Québec se révèle

Découvrir quartier St-Jean-Baptiste une expo montée par un collectif d’architectes et d’artistes proposant des œuvres ludiques, qui questionnent notre rapport au monde et à l’espace urbain. Déambuler dans une ruelle étroite à travers un amoncellement de Delirious Frites longues et multicolores frites de piscine, dégoulinant depuis le haut des immeubles en briques. Etre en harmonie avec le parti pris des artistes : les passant.e.s cheminent dans ces ruelles inventant des sentiers tactiles, presque organiques, sensuels ou inquiétants. Et ça fonctionne à merveille !

Un peu plus loin, accolée au mur d’un immeuble Stock en transit une accumulation d’objets quotidiens en plastic coloré, chaises bleues, canoës jaunes, bassines et jeux de plage multicolore, seaux et poubelles, tortue verte pomme géante, bateau de plage rouge et bleu. Inutile de dire que les accumulations se voient de loin. Ailleurs une autre accumulation en équilibre sur l’angle d’un immeuble. Nos yeux s’aguerrissent attirés par ces masses colorées. Cherchent. Trouvent. – Tiens regarde le long des escaliers là-bas – Et là sur la grille du square. On aime cette pérégrination dans la ville à la recherche de ses petits signes pour dire la tendance de nos sociétés contemporaines à surconsommer et à accumuler des objets de toutes sortes.

Pousse une souche, une installation interactive pour laisser une empreinte éphémère de la forme de son corps sur une paroi verticale hérissée de tiges en bois coulissante.

Sur un bâtiment une petite plaque bleue nous renseigne, ici vécut Marthe Caillaud-Simard (1901-1993). Militante d’origine française, elle fonda ici lors de la Seconde Guerre mondiale, le premier comité de résistance hors de France, point de ralliement de la France libre au Canada. Surprise des déambulations dans la ville, faire le va-et-vient entre l’histoire d’hier et celle d’aujourd’hui, la ville engagée sur son passé et son avenir. La ville qui nous touche.

Secteur de la Colline Parlementaire, le quartier des administrations et des édifices gouvernementaux, devant l’Assemblée Nationale une pépite attire notre attention. Un ensemble en bronze de quatre femmes à taille humaine. Trois groupées et une allant de l’avant se retournant vers ses aînées, qui lui montrent le chemin d’un geste de la main. Sur une stèle on peut lire : Que la mémoire de ces femmes d’exception et leur combat pour l’égalité entre les femmes et les hommes soient une inspiration pour les générations futures.

Mais qui sont-elles ces femmes à l’allure décidée et combative ?

Marie Lacoste Gérin-Lajoie, une des fondatrices en 1922 du Comité provincial pour le suffrage féminin. Idola Saint-Jean, secrétaire de ce Comité à sa création. Cinq ans plus tard, elle fonde l’Alliance canadienne pour le vote des femmes, l’une des deux plus importantes associations féministes du Québec. Pour elle, le vote des femmes est la clé pour corriger les injustices sociales dont elles sont victimes.

Thérèse Casgrain, tout au long de sa vie, fonde plusieurs associations et organismes à caractère politique et féministe. Elle siège comme sénatrice indépendante en 1970 et en 1971 au Parlement d’Ottawa.

Celle qui se détache du groupe Claire Kirkland-Casgrain est, en 1961, la première femme de l’histoire du Québec élue au Parlement. En 1964, elle réalise une importante réforme du Code civil qui met fin à l’incapacité juridique des femmes mariées.

Des luttes dures et acharnées pour réclamer davantage de droits civiques et politiques pour les femmes et aboutir en 1940 au droit de vote et d’éligibilité des femmes. Les femmes autochtones vivant dans les réserves ne l’obtiennent qu’en 1986 !

Emotion de voyageuses, la découverte dans l’espace public de cet hommage à ces femmes engagées. Le clou : l’inauguration du monument a été effectuée par Pauline Marois, première femme de l’histoire du Québec à exercer la fonction de première ministre !

Fouiller dans sa mémoire, surfer sur internet et se remémorer à quel moment le droit de vote est accordé aux femmes : 1893 en Nouvelle-Zélande – 1901 en Australie – 1906 en Finlande – 1911 en Californie – 1915 au Danemark – 1917 en Russie – 1918 en Arménie, Hongie, Royaume-Uni, Pologne, Tchécoslovaquie et au Canada au niveau fédéral… La liste est longue, quarante-quatre autres pays avant d’arriver au Québec en 1940 et à la France en 1944…

Vivre physiquement la ville de Québec en étant confrontées à la dénivellation. Passer de la ville haute à la ville basse en suivant les côtes. Mais quelles côtes ! Parfois préférer emprunter les escaliers métalliques typiques de la ville. D’autre fois l’ascenseur du Faubourg. Emprunter le pittoresque escalier de la Promenade du Gouverneur qui domine le Saint-Laurent. Un escalier atypique de trois cent dix marches avec de longues sections horizontales qui donne à voir un paysage grandiose qui ouvre sur le fleuve, sa rive sud boisée, au loin la chaîne de montagnes des Laurentides. En contrebas de la promenade, rive Nord, la basse ville, le port et quelques gros bateaux de croisière seuls points noirs de ce panorama.

Pour comprendre cette expérience de la dénivellation, rien de plus succulent et parlant que ces paroles de Marie-Eve Sévigny, animatrice de promenades littéraires entendue sur France Culture dans l’émission Ville-monde Québec :

C’est pas possible de marcher dans Québec sans se heurter à sa dénivellation et c’est assez violent. Les femmes à talons hauts, vous allez en rencontrer peut-être le soir, s’il y a des soirées, mais dans le quotidien de la ville, çà a des grosses semelles, parce que sinon elles vont s’casser la gueule. Le piéton de Québec, il a aussi un manteau coupe-vent parce que souvent c’est venteux, un gros lainage, et des mitaines l’hiver… C’est ça l’expérience de Québec. Ce qui fait que quand on marche à Québec, on choisit nos côtes. A Québec, on dit la côte est côte !

Face à cette vue depuis la Promenade du Gouverneur, imaginer Jacques Cartier qui en 1535 en remontant le St-Laurent arrive à cet endroit couvert d’une vaste forêt. Il devait s’arrêter en Gaspésie, il est venu jusqu’ici pour rencontrer une compagnie amérindienne pour le commerce des fourrures. Dès la mi-novembre, les navires sont emprisonnés dans les glaces et l’équipage est touché par une épidémie de scorbut. Ils sont sauvés par les Iroquois et leur anedda, une tisane de cèdre blanc.

Quelques soixante-dix ans plus tard Samuel de Champlain explorateur français arrive au même endroit et juge qu’ici il faut construire une ville. Dans son carnet, il note l’importance des forêts, des belles terres cultivables. Toute sa vie il se bat contre les compagnies de fourrures françaises qui lui disent : Envoie nous tes fourrures, mais ne nous achale pas avec ton idée de faire une ville ici. Lui il n’avait qu’une chose en tête construire une ville.Il la nommera Kébec signifiant là où le fleuve se rétrécit pour les amérindiens algonquins qui habitent ce territoire à l’arrivée de Champlain.

Années 70 à Québec, règne du tout automobile, des autoroutes surdimensionnées sont construites en dépit du bon sens. Certaines sur le fleuve, détruisant plusieurs écosystèmes. C’est dans la basse ville sous l’autoroute Dufferin, que l’on découvre de gigantesques fresques et tags sur les piles de l’autoroute et les murs de la bretelle de l’échangeur : sarcophages et dieux égyptiens, portail d’église gothique avec son statuaire, graffs, immenses vagues et surfeurs, animaux fantasmagoriques… Des graffs aux couleurs vives contrastant avec cet univers de béton.

Pli après pli, la ville se dessine, et notre connexion au monde se consolide.

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