Blog Fragments d'un voyage au Québec

2/26 – L’Anse-Saint-Jean ou l’étonnement des voyageuses

Les premiers jours, tout est étonnement. La langue, l’accent évidemment, le vocabulaire, la facilité avec laquelle certaines personnes passent du français à l’anglais dans une même conversation. Le vocabulaire, on le savait, mais c’est succulent de l’entendre dans une discussion. Les fameux magasinage, niaiseux (imbécile), courriel, cellulaire (téléphone portable), c’est engagé (c’est occupé)…

Changer de vocabulaire et d’échelle. Le Juste à côté au Québec est un peu plus loin que le Juste à côté en France. On te dit c’est à côté, il te faut souvent parcourir plusieurs kilomètres pour arriver à destination. Nous le constatons lors de la première étape dans la région du Lac Saint-Jean et du Fjord du Saguenay. Le gîte du Capitaine, à l’Anse Saint-Jean, se situe d’après le guide derrière l’église. En réalité, il est à environ deux cents mètres. Une première étape à franchir pour les voyageuses débarquées depuis peu : ajuster leur vision et compréhension de l’espace !

Gîte du Capitaine à l’Anse Saint-Jean

Depuis la fenêtre de la chambre du gîte ce n’est que le lendemain de notre arrivée nocturne que l’on découvre le fjord du Saguenay. Surprises par ce paysage, tellement différent de celui des fjords écossais très encaissés et marqués par de hautes falaises. Ici le fjord est large et sillonne à travers un paysage de vallées ouvertes bordées de collines ou de falaises couvertes de forêts et bordées de prairies.

Cheminons à pied à la découverte de l’Anse-Saint-Jean, village rue qui s’étale face à la rivière Saguenay. Grande simplicité du côté cour des maisons alignées le long de la voie publique. Parfois laissé en herbe parfois agrémenté de massifs de fleurs. Ni clôtures ni haies autour des maisons, les espaces sont ouverts et on passe sans le savoir d’une propriété à l’autre.

Le fjord du Saguenay

Me revient en mémoire le village américain où avait emménagé dans les années soixante-dix une de mes tantes à Chaumont en Haute-Marne. Internet me renseigne et je trouve trace du fameux Lafayette Village, qui me fascinait enfant avec ces maisons sans barrières et ses vastes terrains enherbés et collectifs autour des maisons. Des unités d’habitation familiales construites par le gouvernement américain pour loger ses militaires en poste en France. Premiers exemples de l’urbanisme américain en France, vitrines de l’American way of life ! Première fascination de l’ailleurs et de la différence pour l’enfant que j’étais !

A l’arrière des maisons, les petits jardins sont très soignés. Marqueurs de septembre, potimarrons, citrouilles et autres courges colorent les espaces.

En cette journée grise, les couleurs de l’architecture vernaculaire de bois peint détonnent sur l’herbe d’un vert intense. Façade rouge carmin ou vert foncé et toit blanc. Une autre blanche au toit rouge. Les suivantes bleu foncé aux menuiseries et toits blancs ou blanche aux toits gris. On court de l’une à l’autre émerveillées par la grande variété de couleurs. Un peu plus loin une maison plus imposante à étage abrite un hôtel. Pause café pour consulter les guides et admirer le fjord.

Ce sont les couleurs qui créent la diversité de cette architecture. Pas les plans des maisons rectangulaires pratiquement identiques. Une élévation d’un étage ou un étage et demi, des toits hauts et escarpés pour empêcher l’accumulation de la neige, des couvertures de tôles ou de briques. Sur le toit une ou deux lucarnes à pignon. Des galeries couvertes entourent certaines maisons comme au gîte du Capitaine. Depuis l’espace public on accède à la galerie qui ouvre sur l’étage de vie par un escalier en bois de quelques marches adossées au talus.

De petits panneaux explicatifs en métal peint en gris ardoise, en totale harmonie avec le site, renseignent sur cette architecture vernaculaire typique de la région du Saguenay-Lac Saint-Jean. Datant du milieu du XIXe, quand s’installent les premiers colons attirés par la présence de terres arables disponibles et par les forêts de pins blancs. Les forestiers installent des scieries et exploitent le bois pour la pâte à papier. Drame pour les Amérindiens arrachés des forêts pour vivre dans des maisons construites par les Blancs sans leur apprendre à manier les outils pour les réparer. Les forêts source de nourriture et de médecine sont polluées par les compagnies forestières. Premiers indices sur la colonisation de ces territoires, à travers l’histoire de l’architecture de ce village.

Étonnement de réaliser, même si ce n’est pas une découverte, que les plus vieux bâtiments datent de la deuxième moitié du XIXe. Normal, puisque notre région est jeune, elle n’a pas encore 200 ans d’histoire, commente un article lu sur internet. Curieuse formulation pour ce territoire fréquenté et occupé depuis des millénaires par les Innus. Appelés Montagnais par les européens. Pour réaffirmer leur identité, dans les années 1990, ils reprennent leur nom d’Innus signifiant humains. Ne pas confondre avec les Inuits qui habitent dans leur majorité dans les régions nord du Canada, des États-Unis ou au Groenland.

Tu n’as pas raconté mon peuple

Tu n’as pas dit notre existence

Tu n’as pas entendu notre voix

Elle chantait une incantation

Dans la peau du tambour

Pour que continue le rêve

Joséphine BACON, poète, conteuse innue originaire de Pessamit sur la Côte-Nord du Saint-Laurent

Souvent on a l’impression que la présence des peuples Natifs est ignorée. Ni perceptible dans le paysage, ni dans les noms des villes ou villages traversés. Un jour le Saint-Laurent retrouvera-t-il un de ses noms, d’origine Magtogoek, en langue Algonquine : le chemin qui marche ou Kaniatarowanenneh en Mohawk : Gros courant d’eau ?

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