Blog Fragments d'un voyage au Québec

23/26 – Voyage papal au Québec

Régulièrement cette question hante l’écriture de ce récit : quelle légitimité pour parler des Amérindien.ne.s alors que l’on n’a saisi que quelques bribes de leur histoire ? Écrire les choses vues, racontées, pour témoigner auprès de nos ami.e.s au retour comme nous l’a suggéré Soleria ? Nommer, en tout cas, pour ne pas oublier.

Alors que j’écris ce texte, le 24 juillet 2022, le pape François est au Canada pour présenter les excuses de l’église catholique pour son rôle dans le drame des pensionnats amérindiens.

Concomitance de l’écriture de ce récit avec le voyage du pape sur les terres amérindiennes. Une aubaine pour creuser le sujet. Lire la presse. Être submergée, bouleversée par les témoignages. Nombreux. On parlait peu de la question des pensionnats pour les enfants autochtones amérindiens dans la presse française, soudain les témoignages des ancien.ne.s pensionnaires abondent. Des théologiens et autres spécialistes sont interviewés.

Comment organiser mon récit autour de faits si graves ? Prendre des notes et laisser venir l’écriture.

Le chemin a été long avant que l’église ne reconnaisse son rôle dans l’enfermement des jeunes Amérindien.ne.s dans les pensionnats. Pour tuer l’indien dans le cœur de l’enfant dit, en 1920, le plus haut fonctionnaire au sein du ministère des Affaires Indiennes.

Même si le rôle de l’État dans ce drame n’est pas négligeable, il a une longueur d’avance sur l’église au niveau du mea culpa. En 2008, le premier Ministre a présenté les excuses du gouvernement aux Peuples Natifs. La même année une Commission vérité et réconciliation est créée avec mandat de recueillir des témoignages de victimes.

Celui du Chef de Mashteulatsh, une communauté innue établie sur la rive du Lac Saint-Jean, résume bien les récits lus dans la presse :

On a enlevé mon père à sa famille à l’âge de six ans avec ses sœurs. Là-bas elles ne l’ont pas vu pendant un an, on leur disait qu’il était malade. Il a subi des sévices et ma mère des agressions sexuelles. Adultes ils ont sombré dans l’alcool et la violence sexuelle… Nous leurs enfants n’avons compris l’origine de cette détresse que bien après, en découvrant l’envergure du drame qu’ils avaient vécu. Si je ne parle pas ma langue, c’est parce que ma mère a été si traumatisée par les punitions dont on l’accablait quand elle l’utilisait qu’elle a toujours eu peur de l’apprendre à ses propres enfants…

Pendant six ans, la commission recueille le témoignage d’environ 7000 victimes et responsables de pensionnats autochtones. Le Site officiel du gouvernement canadien relate qu’en 2015, la commission vérité et réconciliation rend public le sommaire exécutif de son rapport final qui énonce 94 appels à l’action pour favoriser la réconciliation entre les Canadiens et les peuples autochtones. La période des pensionnats est alors qualifiée de Génocide culturel. La commission demande au Pape François de présenter les excuses de l’église catholique.

Par le passé, les papes Jean-Paul II, Benoît XVI et François ont déjà rencontré des représentants des Premières Nations. Ils ont reconnu les injustices subies par les peuples premiers et exprimé des regrets pour la manière dont l’Église les a traité. Mais jamais, ils n’ont présenté d’excuses officielles.

En 2021 un événement relance une vague de protestation contre l’église. Sur les terrains de l’ancien pensionnat autochtone de Kamloops en Colombie-Britannique, administré par l’église catholique, on découvre 215 sépultures anonymes avec les restes de 215 enfants.

Dans un premier temps, le pape François ne fait qu’exprimer sa sympathie au peuple canadien et dit suivre avec tristesse les nouvelles en provenance du Canada. Plus tard, en mars 2022, une délégation de deux cents représentants des peuples autochtones du Canada se rend à Rome. A cette occasion, le pape leur présente les premières excuses et évoque la conduite déplorable de membres de l’église. Il promet à la délégation de venir sur leur terre natale.

Donc en juillet 2022, sur les Terres des Premières Nations le pape adresse les excuses officielles de l’église catholique. Il explique que les politiques d’assimilation forcée ne fonctionnent jamais lorsque les croyants imposent leur modèle culturel. Et pourtant, ajoute-t-il combien de fois cela s’est-il produit dans l’histoire !

Assimilation forcée ? Ça existe une assimilation non forcée ? Veut-il dire qu’une assimilation non forcée aurait été possible ? Et quid des autres croyances, des autres religions ?

La presse relate la parole d’autochtones qui regrettent que le programme de la visite papale ne laisse aucun espace pour l’expression d’autres croyances. Pendant son voyage, le pape ne rencontre que des Autochtones catholiques. Dans une tribune parue dans Le Monde, le théologien montréalais Jean-François Roussel, explique que la démarche de réconciliation espérée ne pourra avancer qu’en incluant de fait et de droit, l’autochtone non catholique et non chrétien.

La presse évoque qu’à Maskwacis, une femme autochtone vêtue de sa robe traditionnelle rompt le protocole et tance longuement le pape devant la foule, avant de se retirer dans un cri de douleur et de colère. Elle incarne le retour à la spiritualité amérindienne. Un chemin suivi par de nombreux autochtones pour surmonter le traumatisme des pensionnats.

Un cri de douleur et de colère pour interroger le Pape. Lui dire sa douleur, celle de son Peuple face à l’éradication par les colonisateurs des croyances autochtones, sous prétexte qu’elles s’apparentaient à des superstitions. Un cri pour lui dire : vos excuses ne seront pas recevables si notre spiritualité est niée. Un cri pour exprimer cette spiritualité collective et millénaire, qui repose sur la communion profonde de l’humain avec la faune, la flore, la nature et la Terre.

Encore un long chemin à parcourir. Même si avec les nouvelles générations les choses avancent. Porteurs de traditions orales, anthropologues et historiens Natifs mènent un travail de reconstitution et de mémoire. Pour retrouver leurs langues, leur culture à travers les récits oraux et les arts. Sans passéisme. En parlant de tradition vivante tournée vers l’avenir.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *