En abordant ce récit, je pensais relire les livres de Michel Tremblay et Gabrielle Roy. L’écriture et le voyage en ont décidé autrement. Écrire. Lire. Voyager. Surfer sur internet. Revenir de ce voyage avec le murmure du monde, avec des questionnements pour les années à venir. Se demander si être vivante, c’est accentuer sa présence au monde ? Alors, dès le retour tenter de comprendre le monde en lisant, en écrivant.
Construire mes cabanes comme l’explique Marielle Macé dans Nos cabanes. Un livre essentiel dans mon cheminement d’écriture et de lecture : Vite, des cabanes, en effet. Pas pour s’isoler, vivre de peu, ou tourner le dos à notre monde abîmé ; mais pour braver ce monde, l’habiter autrement : l’élargir.
Chacun de mes projets d’écriture est accompagné d’un ou plusieurs livres. Pour ce récit de voyage, tout a commencé avec un livre de poésie – Un thé dans la toundra / Nipishapui nete mushuat – de la poète innue Joséphine Bacon. Découvert à Montréal en fouinant dans une librairie. Lu dans l’avion et rangé dans ma bibliothèque, coincé entre Virginia Woolf et Janet Frame. Sans raison particulière, mais la place était bonne. Je l’avais un peu oublié quand un jour je découvre sur les réseaux sociaux une proposition de souscription pour un documentaire Je m’appelle humain de Kim O’Bomsawin. Réalisatrice d’origine abénakise et militante pour les droits des femmes autochtones, dans ce documentaire elle suit Joséphine Bacon sur les terres qui ont jalonné sa vie. De sa Terre natale le village de Pessamit dans le Nutshimit sur la Côte-Nord jusqu’à Montréal.
Suivre la poète sur son chemin de vie. Des moments d’une infinie poésie. Et se laisser bercer de ses mots quand elle dit l’importance de garder vivants la langue, les savoirs ancestraux, la culture et les traditions appris de ses ancêtres. Pour les transmettre aux jeunes générations. Elle qui en a été privée à cause du pensionnat.
Lorsque les anciens nous quittent, un lien avec le passé disparaît. Quand j’ai compris que je savais écrire, j’ai écrit pour les générations qui viendront pour qu’ils n’oublient pas. Pour qu’ils comprennent que les anciens c’étaient des gars qui marchaient. Qui n’écrivaient pas. Les mots vont rester. Aujourd’hui on apprend à écrire notre langue. Oui je suis en colère mais ma colère est tranquille. Avec la poésie je peux l’exprimer mieux qu’en levant les poings en l’air… Les pensionnats, je n’aime pas beaucoup en parler, car ça fait trop mal. Tout n’est pas tout noir ou tout blanc. Si je n’étais pas allée au pensionnat je n’aurai pas appris à écrire.
L’écouter dire l’importance du territoire, racine de l’identité et de la culture innue.
La suivre sur les traces et les terres de Papakassik le maître caribou – traditionnellement, tous les Innus vénéraient le caribou, le maître des animaux terrestres et Papakassik son dieu puissant – sur la Côte-Nord. J’en reviens pas d’être ici. C’est comme d’arriver au bout d’un rêve.
La voir arpenter une colline d’une démarche peu assurée alors que sa voix off dit ces mots – exacte description de sa démarche : Je n’ai pas la démarche féline. J’ai le dos des femmes ancêtres, les jambes arquées de celles qui ont portagé, de celles qui accouchent en marchant.
L’écouter dire face au panorama : Tout le temps que j’ai travaillé avec les vieux, je les ai toujours vus assis face à l’horizon. Pis je m’arrêtais pour me dire qu’eux seuls voyaient ce qu’ils regardaient. J’imagine qu’ils voyaient une partie de leur vie, quand ils étaient nomades. Ils devaient voir de la poésie aussi.
La voir se remémorer à Montréal sa découverte abasourdie des hauts immeubles à son arrivée.
Écouter son propos pas du tout nostalgique. Tourné vers l’avenir. Un avenir vivant d’un passé millénaire. Je vis au présent le passé de mes ancêtres.
Important pour moi de terminer le récit en laissant la parole à ces deux femmes. Deux ans après ce voyage au Québec, j’ai suspendu mon engagement militant dans la solidarité internationale. Pour militer autrement ? Non, pour me plonger dans la littérature, loin de l’actualité plombante, effrayante, terrifiante. Parce que cet engagement soudain me paraissait superficiel et inefficace. Plus à la hauteur des enjeux. Pour prendre du recul et lire l’actualité autrement à travers des textes littéraires engagés. Pour laisser la parole à ceux qui luttent, se limiter à les transcrire. Retrouver alors par des chemins de traverse et par l’écriture les sujets de l’engagement des Peuples autochtones. Un combat universel pour le respect des Droits économiques, sociaux et culturels. Pour vivre dignement.
Mes os ont mal
Frémissant du manque de mots
Une douleur se fige
Sans pouvoir raconter
Qu’un hier lui échappe
Je rêve d’un seul récit
Qui dicterait sans faute
Toute une vie vécue
Tu ne me regardes pas
Tu ne me vois pas
Tu ne m’entends pas
Tu ne m’écoutes pas
Tu ne me parles pas
Tu es ici en conquérant de ma Terre
Tu m’emprisonnes dans ma Terre
Tu me prives de mon identité
Tu me prives de mon territoire
Tu m’enchaînes dans des réserves que tu as créées
Tu veux être maître de mon esprit
Qui suis-je ?
Tu ne me connais pas
Tu m’appelles : Montagnais
Tu m’appelles : Cri
Tu m’appelles : Tête de boule
Tu m’appelles : Algonquin
Tu m’appelles : Naskapi
Tu m’appelles : Abénaki
Tu m’appelles : Micmac
Tu m’appelles : Huron
Tu m’appelles : Iroquois
Tu ne connais pas mes légendes
Tu ne connais pas mon histoire
N’attends pas que je me fâche telle une tornade
N’attends pas que je me libère de mes chaînes
Joséphine Bacon – recueil Nous sommes tous des sauvages (Mémoire d’encrier)
Kim O’Bomsawin à propos de son travail de réalisatrice de documentaires :
Je filme pour éduquer la population, celle qui malheureusement n’y connaît rien… Nos cours d’histoire ont été montés, de manière à ce qu’on oublie les premières nations. On se retrouve dans la situation où les gens ne savent même pas combien de nations nous sommes au Québec, alors que c’est la base, on partage le même territoire. On est assez nombreux proportionnellement parlant et puis nos cultures sont pour la plupart encore très vivantes, on a tellement à offrir, tellement à donner, on devrait tellement nous écouter, notamment dans ce contexte de crise climatique.
A partir de 1876, on parle de politique assimilationniste, qui nous a fait si mal : ils s’étaient donné deux générations pour régler le problème indien. Pour que tous les Indiens soient assimilés à la population canadienne. Et donc qu’il n’y ait plus de réserves, plus de pensée autochtone. Malheureusement ça a duré cent ans. Puis ils ont fini par fermer les écoles. Les réserves restent toujours, et nous sommes de plus en plus nombreux : on est le groupe au Canada dont la démographie croît à une vitesse fulgurante. On est je pense la force du Canada pour l’avenir
Très beau texte. Merci pour la découverte que vous avez permise de cette poétesse. Vos photos comme déchirées et complétées à l’aquarelle, j’adore.
Merci pour votre lecture et votre commentaire !
Toujours un plaisir de savoir que l’on a été lue…
Oui, une très une grande poètesse, vraiment ravie de vous l’avoir fait découvrir.