Alors que je termine le énième visionnage du documentaire de ces deux femmes, mes yeux se posent sur l’attrape-rêves confectionné par Soleria accroché dans mon salon. En voyant la petite plume jaune fixée sur le réseau de fils tissés en forme de filet et accroché au cerceau en bois de saule, je pense aux paroles de Soleria. Sur les plumes tout glisse et retourne à la Terre. Ma pensée vagabonde, des plumes au livre Plume de Michaux, posé sur la table du salon, aux plumes pour écrire, à l’écriture. A l’écriture pour retrouver les lieux du voyage, pour revivre certains moments, retrouver des sensations, mieux comprendre. A l’écriture pour poursuivre le voyage.
Une dernière fois, me replonger dans ma boîte à carnets du voyage, tapissée de la carte du fleuve St Laurent, le fil conducteur du voyage. Feuilleter les carnets. M’arrêter un moment sur un portrait d’Élise Redfod, une pionnière de l’écologie, et sur les photos de son jardin. Penser aux ruelles de Montréal, ces petits bouts de nature en ville. Rechercher les photos, être surprise par la luxuriance de la végétation. Constater une fois encore que le Québec de 2014 était en avance sur la France de 2022.
Et si finalement, la philosophie amérindienne avait imprégné cette société métisse et s’y était diffusée subrepticement. Si elle avait servi la cause du respect de la Terre-Mère, de l’environnement et du vivant. A nouveau les paroles de Soleria me reviennent en mémoire. Le lien biologique à la terre reçu en héritage de leurs ancêtres est essentiel pour les Amérindiens. Leur relation à la Terre-Mère est constitutive de leur identité. A l’opposé de celle des Européens, utilitariste ; pour eux la terre est un bien à posséder et à exploiter.
Est-ce pour cette raison que le respect de l’environnement nous a paru mieux pris en compte au Québec ? Même si, comme nous l’a expliqué Thomas, tout n’est pas si simple, la surexploitation forestière est scandaleuse et n’a rien d’écologique. Mais dans cette société de sang mêlé l’idée de l’importance du lien à la Terre-Mère a sans doute circulé plus rapidement que dans nos pays européens. Je me souviens avoir lu qu’à leur arrivée certain.es Européen.nes ont apprécié et partagé la manière de vivre et la philosophie amérindienne.
Si vous nous écoutiez, vous pourriez résoudre tous vos problèmes disent les Amérindien.nes qui de plus en plus souvent participent aux instances internationales de luttes contre la crise climatique. Sont-ils entendus par les dirigeants ?
Pourtant habiter le monde, ne serait-ce pas vivre plus en harmonie avec la nature ? Écouter les voix amérindiennes, mais aussi celle des éléments. Celle du Saint-Laurent qui charrie des tonnes d’eau et modèle sur son passage des paysages grandioses. Qui hurle : j’en ai assez de vos pollutions, de vos oléoducs, laissez moi vivre ma vie de fleuve, moi qui existe depuis des millénaires, arrêtez de me polluer, de me bétonner, de couper les arbres sur mes rives. A quoi sert d’essayer de purifier mes eaux, alors que vous les avez polluées ? Quand vous me polluez, vous polluez toutes les eaux du monde.
Écouter aussi toutes ces voix de femmes qui traversent ce récit. Les Elsie Redford, Soleria, Carole, Thérèse, Constance, Joséphine Bacon, Kim O’Bomsawin, Marie Lacoste Gérin-Lajoie, Idola Saint-Jean, Thérèse Casgrain et Claire Kirkland-Casgrain, Marielle Macé. Certaines de ces femmes, à un moment de l’histoire, ont questionné et contribué à l’avancée des Droits des Femmes. D’autres nous ont tout simplement accueillies pendant notre voyage. Et être convaincue, comme l’écrit Fernando Pessoa, que : Les voyages ce sont les voyageurs eux-mêmes. Ce que nous voyons n’est pas fait de ce que nous voyons mais de ce que nous sommes.
Après ce voyage, son écriture, alors que je pensais tout oublier de mes engagements militants, mon sentiment de Citoyenne du monde s’est renforcé.
FIN