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La gare de Bordeaux

J’aime prendre le train. J’aime les gares, les départs, j’aime aller y accueillir des ami.es, j’aime quand je prends un train arriver en avance pour observer.

Observer, c’est déjà voyager, c’est lire les panneaux d’affichage des trains et rêver. C’est contempler dans le hall principal éclairé par une grande verrière, la vaste carte peinte entièrement à la main à même la pierre en 1929. Elle raconte l’histoire des chemins de fer dans le quart sud-ouest de la France. Commandée par la compagnie des chemins de fer du Midi, son objectif était d’informer les voyageurs et de mettre en avant l’électrification des lignes. Observer cette carte, c’est lire les noms de villes et les panneaux d’affichage et se remémorer ce qui un jour m’a liée à elles.

Sète, la ville où je suis si peu allée mais avec laquelle je suis tombée en amour au premier coup d’œil. Marseille, la grande sœur de Sète. Un jour on m’a dit, si tu aimes Sète, viens à Marseille tu adoreras. Nancy, la ville de l’amie F., de la place Stanislas et de l’École de Nancy. Nantes, la ville de Jacques Demy et d’Anouk Aimée dans Lola. Lille, Toulouse, Strasbourg, des villes visitées lors de courts séjours. Sarlat, Périgueux, Bergerac, les villes des déplacements professionnels en Périgord. Paris, parce que Paris. Bayonne la ville des vacances. L’été sur le panneau d’affichage, deux villes allemandes attirent mon attention. Fribourg-en-Brisgau et Francfort-sur-le-Main. Se dire alors qu’un prochain été, on ira à Francfort et Fribourg. Sans raison particulière, juste pour le plaisir de prendre le train et découvrir ces deux villes.

J’aime particulièrement la gare de Bordeaux en été, elle prend des airs de vacances, de couleurs, de rires et de visages joyeux. On y croise des jeunes harnachés de sacs à dos volumineux, d’autres qui tirent des valises à roulettes. Des enfants avec de petits sacs à dos, d’autres qui dorment ou gazouillent dans des poussettes. J’en ai même vu un avec à la main son seau de plage. Certains réclament un livre à la boutique de la presse ou des bonbons. On y voit aussi des chats et des chiens dans des paniers-cages, des vélos et des trottinettes. Des voyageurs portant des tongs, casquettes, bermudas ou des chapeaux de paille. Des pèlerin.es arborant sur leurs sacs à dos une coquille Saint-Jacques, des chaussures de marche aux pieds, en route pour Compostelle. Des vacanciers partant pour Arcachon, Bayonne ou La Rochelle. Celles et ceux qui partent pour Hendaye et Lacanau sont identifiables à leur surf coincé sous le bras. D’autres vont au Verdon et à La Pointe-de-Grave, le bout du monde et de la Gironde. Là où l’estuaire se jette dans l’océan et où on peut prendre le bac pour Royan.
L’été, on entend parler anglais, allemand, espagnol, italien et d’autres langues non identifiées. Depuis quelques années, on y voit plus dormir des voyageur.es exténué.es sur les bancs. Il n’y a plus de bancs, ils ont été remplacés par des chaises ou du mobilier urbain anti-SDF comme le dit l’association Abbé Pierre. D’ailleurs les SDF ont disparu de la gare de Bordeaux, depuis bien longtemps.

Tard le soir, la gare est plus mystérieuse. A 22h22 à l’arrivée du train de Paris, la gare est presque déserte. Quelques personnes attendent des voyageurs, pianotent sur leur portable ou lisent un livre. Les salles d’attente sont désertes, les cafés et kiosques de la presse fermés, le piano est silencieux. Un jour j’ai vu un homme, révolver à la main, en courser un autre.

De tous ces voyageur.euses, peu doivent connaître l’existence, sous le quai numéro un, d’un passage souterrain emprunté par les juifs et d’autres déportés entre 1942 et 1944. Un souterrain assez haut de plafond pour se tenir debout, assez étroit pour s’y bousculer, quand on ordonnait de presser le pas. Il n’en resterait aujourd’hui que quelques traces. Sur les murs subsisteraient les inscriptions Weitergehen, avancez, peintes en lettres noires sur les murs, avec une flèche qui indiquait une destination encore inconnue.

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