En 2018 j’ai commencé un travail sur les nuages. Dans un carnet de croquis format A4, un zap-book (j’aime ce type de carnet aux pages fines qui gondolent sous l’effet des papiers collés et des pages peintes ; j’aime le voir doubler ou tripler d’épaisseur au fur et à mesure de l’ajout de documents, le sentir, palper et tourner les pages), j’ai collé des photos de nuages, quelques textes extraits d’ouvrages empruntés à la bibliothèque, des photos de tableaux de ciel de Boudin, Constable, Monet. Sur une quinzaine de pages et puis plus rien.
Depuis plusieurs mois, sans faire le lien avec le travail juste ébauché en 2018, je photographie les nuages. Pour le plaisir d’observer, photographier, sélectionner et partager sur Instagram. Sans légende, certaines photos sont identifiables par un petit bout de ville ou de paysage présents en bas de l’image.
J’aime les accumulations de photos sur un même thème. Les regarder, les comparer, les compléter. Me remémorer l’heure de la journée de la prise de vue du cliché, la saison, le lieu. Acte poétique ? Peut-être, dans Un chien à ma table, Claudie Hunzinger écrit : La poésie. C’est quoi la poésie ? Un pas de côté.
Il y a quelques jours, tel un flash, le travail de 2018 m’est revenu en mémoire. Alors pour aller plus loin je décide de le reprendre et le mener en parallèle des publications sur Instagram. Pour l’épaissir. Faire des liens, écrire des souvenirs, évoquer les » peintres de nuages « , noter tout ce qui me passe par la tête. Et stocker l’ensemble sur mon blog dans un onglet Nuage.
Tout a commencé en 2018 avec une exposition au CAPC de Bordeaux. L’expo 4543 milliards, la question de la matière interroge le rapport entre l’histoire d’une œuvre et les grands récits de la Terre. Je me souviens de la salle consacrée à l’Atlas international des nuages de l’artiste Antoine J. Aalders, 1890–1955. Fasciné par la tempête, la forme des nuages et la météorologie, il photographie en noir et blanc, à partir de 1920, des milliers de nuages. Au CAPC, des albums photos et des boîtes – où sont rangées des photos – sont exposées dans des tables-vitrines. Cette accumulation de nuages me fascine.
Je me souviens être retournée au musée à plusieurs reprises pour visiter cette salle. Je me souviens avoir pris conscience de la grande poésie de l’accumulation, de mon émerveillement pour ce travail à la fois artistique et scientifique. En écrivant ce texte, j’ouvre le zapbook, retrouve avec la même émotion les photos de ses albums. En marge, une note : vu Aalders au CAPC, engager de mon côté une démarche sur les nuages.
Je me perds de moins en moins dans cette mer de nuages. Depuis que j’ai commencé ce projet ma perception s’affine. Les nuages viennent à moi, spontanément. Ma lecture de ce grand livre d’images du ciel s’affirme. Avec le temps, avec les connaissances engrangées, mon émerveillement s’intensifie. Parce que nommer, aide à connaître, reconnaître et apprécier une œuvre. Dans mon cas, un ciel nuageux.
Alors que je roule, j’observe le ciel en écoutant Claudie Hunzinger dans l’Heure bleue de Laure Adler. Ces paroles m’emplissent de bonheur :
… comme pour un arbre chaque année apporte une circonférence nouvelle, un élargissement de plus. Je pense que c’est l’expérience même de la vie, ces années qui nous sont données en plus, qui nous permettent un élargissement de vision, de sensation par rapport à ce qui nous entoure.
Au-dessus d’une prairie longeant la Vézère, une accumulation de stratocumulus d’une blancheur infinie, cotonneuse, profonde, dense. Contraste des couleurs. Bleu azur du ciel, jaune-paille de la prairie, blanc des nuages.
Je fixe les nuages et imagine les milliards de gouttelettes qui dansent, s’attirent, se repoussent, s’amusent à éparpiller la lumière dans tous les sens. La lumière se prend au jeu, roucoule, batifole, papillonne, gambade et finit son show en se répandant à travers les gouttelettes d’eau. Comme par magie, elle prend alors toutes les couleurs de l’arc-en-ciel et le mélange de ces couleurs donne au nuage son aspect laiteux.