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Une semaine à Banyuls

un petit carnet de voyage pour une semaine à Banyuls, Collioure, Rivesaltes

Samedi 15 avril 2023 – Sur l’autoroute A62 entre Agen et Toulouse

Sur les coteaux de Garonne, des petits villages perchés, groupés autour de leurs églises. Dans la plaine les arbres à kiwis couverts de vastes filets créent des paysages dignes d’artistes du Land-art. Des fermes, aux murs en pierres, en briques ou à pans de bois remplis de torchis, implantées à mi-pente, surplombent les vergers. Ça et là, quelques séchoirs à tabac au bardage bois grisé par le temps. Les feuilles des arbres sont d’un vert-tendre printanier, dans les prés l’herbe est encore bien verte, signe de pluies récentes. Quelques kilomètres plus loin, l’harmonie du paysage est rompue par les deux tours de refroidissement de la centrale nucléaire de Golfech, d’où s’échappent une fumée blanche.

Arrivée : Noémie, originaire de Dunkerque, habite Banyuls-sur-Mer depuis vingt ans

Banyuls reste une station familiale. J’aime y vivre l’été. Il y a pleins d’animations avec l’arrivée des touristes. Ça dure juillet et août, après tout le monde repart. L’hiver c’est bien aussi. J’aime Banyuls à toutes les saisons. On se sent en sécurité même l’été. Je n’ai pas peur de laisser mon fils seul sur la plage. J’espère que ça va durer, car avec le temps, on ne sait pas qui peut arriver.

Dimanche 16 avril – Banyuls-sur-Mer

Depuis ce matin 9h00, on assiste à une ronde des camions de sapeurs-pompiers et des voitures de la gendarmerie sur la route qui serpente depuis le port de Banyuls et monte vers Cerbère et l’Espagne. Des canadairs font des allers-retours pour s’approvisionner en eau. L’incendie, attisé par une tramontane qui souffle à 100 km/h, est incontrôlable. Les journaux relaient l’inquiétude des pompiers : où trouveront-t-ils l’eau pour éteindre les incendies de l’été ? Deux ans sans pluie dans les Pyrénées-Orientales. Depuis quelques jours quatre villages situés à l’est de Perpignan sont privés d’eau.

Lundi 17 avril – 19h00 – Marie, caissière au supermarché de Banyuls

Tiens des camions de pompiers. Ils viennent s’approvisionner en carburant et en nourriture. Le feu est maintenant fixé, mais pas éteint. Il reste une brigade de surveillance. Mon copain est pompier volontaire, il a été appelé dimanche matin à 9h00. Il est resté jusqu’à la nuit. Moi je n’ai pas vécu de toute la journée d’hier. Regardez les photos, mille hectares de pinède brûlés, c’est une véritable catastrophe. Quel tristesse ! On est tellement tôt en saison, ça promet pour l’été.

Sur la route des crêtes entre Cerbère et Banyuls,

les parcelles de vignes sur terrasses cultivées, soutenues par des murets de pierres de schistes, préservées des flammes, ont joué le rôle de coupe-feu. Le reste, paysages d’oliviers, de garrigue et de chênes verts, les parcelles de vignes en friche non entretenues, tout a brûlé. Paysage de désolation noirci par les flammes.

Plus tard, une brocanteuse à Palau-Del-Vidres

nous dira, il n’a presque pas plu depuis de longs mois. Cette année on a pas eu de printemps. L’année dernière oui. Samedi, il y a même eu une procession à Perpignan pour prier et faire venir la pluie. Et d’ailleurs ça a marché, il est tombé quelques gouttes après la cérémonie !

La gare internationale de Cerbère – Frontière

Mise en service en 1878, par la Compagnie des chemins de fer du Midi et du Canal latéral à la Garonne. Là que nous avions changé en 2008 lors de notre voyage vers Barcelone. Là que l’on pratique le changement d’essieux des convois pour qu’ils puissent continuer leur parcours vers l’Espagne où l’écartement des voies est plus important. Je me souviens de la sculpture d’un groupe de femmes, les  » transbordeuses d’orange ». En 1906 pour réclamer une hausse de salaire, elles organisent une grève très dure, allant jusqu’à se coucher sur les voies. Première grève entièrement féminine en France.

Cette Méditerranée

… est-elle tellement pudique pour ne pas découvrir la plage et pour limiter ses marées à quelques centimètres, lors de ses sacs ressacs ?

En une semaine, on assiste depuis la baie vitrée de l’appartement, à un feu d’artifice de couleurs sur la mer.

Bleu intense parsemé de petites vaguelettes blanches quand la tramontane souffle. Noir à la tombée de la nuit, constellée des scintillements jaunes et dorés des lumières de la ville. Vert et gris un matin brumeux, quand le soleil peine à percer, et que la mer reflète le vert des vignes et le gris-brun des pierres de schiste qui couvrent le coteau plongeant dans la mer. Bleu vert quand la tramontane est tombée.

A la sortie de Banyuls, dans une anse au milieu de deux caps, Paulilles ancien site de l’usine de dynamite fondée par Alfred Nobel.

Site de mémoire ouvrière qui fait revivre avec grande délicatesse, l’histoire de ces femmes et ces hommes qui ont manipulé de la dynamite de 1870 à 1984. Conserver des traces pour faire mémoire, pour dire le travail d’encartouchage de poudre à la main avec un boutoir, pour dire la première douche de sa vie prise à l’usine, pour dire le paternalisme du patron, pour dire les accidents dus aux explosions, pour dire la fête de la Sainte-Barbe, pour dire les combats syndicaux, pour dire les bains de mer à l’heure du déjeuner, pour dire les maladies causées par la manipulation des produits toxiques.

Sylvie, serveuse dans un restaurant à Banyuls

C’est fini les vacances qui durent un mois. Maintenant les gens viennent une semaine ou deux. Une famille n’a pas toujours les moyens d’aller au restaurant. Depuis quelques années, on ressent cette perte de pouvoir d’achat. On ne fait pas le plein comme avant. Les vacances à la mer, c’est quand-même moins cher que les vacances au ski. Ni forfait à payer, ni location de skis. Ici, il suffit d’un maillot de bain et d’une serviette. De temps en temps les parents achètent une glace et les enfants sont contents.

Collioure

Chateau de Collioure

Antonio Machado à Collioure

Marie souffleuse de verre à Palau-Del-Vidres

Si vous voulez me voir travailler, revenez dans quinze minutes, j’attends que les derniers clients soient partis pour me remettre à l’établi.

… Je travaille les tiges de verre de différentes couleurs à la flamme d’un chalumeau. L’extrémité des tiges fondues est déposée sur mandrin métallique. Cet autre instrument en graphite me permet de modeler le verre et obtenir une perle ronde ou oblongue. Mettez les lunettes vous verrez mieux. Ensuite j’ajoute quelques débris de verre colorés pour créer des motifs. En tournant patiemment, on arrive à une forme parfaite. Je ne suis pas très patiente, mais à force de pratique, j’y arrive. Quand la forme me convient je dépose la perle restée sur sa tige de métal dans ce four de refroidissement. Le secret : la laisser reposer de longues heures. Pour solidifier la perle le refroidissement doit se faire lentement. Le lendemain, je plonge certaines perles dans l’acide pour les dépolir.

Maillol à Banyuls

Maillol aimait venir travailler dans ce mas isolé dans la garrigue à quelques kilomètres de Banyuls. Dans le film réalisé en 1942, quelques mois avant sa mort, on le voit, avant de commencer le travail d’atelier, regarder longuement, pour mémoriser les formes du corps, les croquis dessinés d’après modèle vivant. Ensuite à l’atelier, concentré sur le projet en cours, il ajoute de la matière sur son moulage en plâtre. Émouvant de le voir marcher le soir à la fraîche sur les petits chemins proches de sa propriété. On a l’impression que le paysage n’a pas bougé depuis 70 ans. Le même petit chemin serpente entre les parcelles de vignes en terrasses, maintenues par des murets de pierres sèches de schiste.

Sur les pas de Maillol dans Banyuls

La pierre de schiste

Elisabeth EIDENBENZ (1913 – 2011), enseignante et infirmière suisse, née à Wila (Suisse) et morte à Zurich

Inauguré en octobre 2015, le Mémorial du Camp de Rivesaltes est construit au milieu des vestiges des baraquements, témoins du destin de plus de 60 000 personnes.

Dans un paysage aride et ouvert de garrigue, dans la vaste plaine de Rivesaltes, des vestiges de baraquements en béton. Certains ont conservé leur toit, d’autres deux ou trois murs. Aucune n’a de fenêtre, d’ailleurs, elles n’en ont jamais eu. Des rangées de latrines pour un groupe de maisons. C’est ce qu’il reste de l’îlot F du camp de Rivesaltes. En toile de fonds, la chaîne des Pyrénées dominée par le Canigou. De l’autre côté l’Espagne. Le ciel est gris parsemé de nuages noirs, accentuant le sentiment de désolation. Au milieu un long bâtiment moderne semi-enterré, ocre clair pour se fondre dans le paysage, et laisser la place aux vestiges. Lieu de mémoire, ce centre de rétention de l’État français pour étrangers indésirables. Républicains espagnols, Juifs étrangers, Tziganes, Harkis, prisonniers FLN, Guinéens, nord-Vietnamiens, prisonniers en transit vers les camps de déportation d’Auschwitz-Birkenau, prisonniers de guerre allemands…

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